mardi 22 mai 2012

Si j'étais magicien

Je me suis attirée la poisse en affirmant que ma nouvelle ne possédait pas le je-ne-sais-quoi suffisant pour gagner un prix. Ou plutôt, qu'elle possédait un je-ne-sais-quoi qui me déplaisait suffisamment pour estimer ne rien mériter gagner. N'empêche, je suis déçue, malgré le "ça ne signifie pas que votre texte ne soit pas de qualité mais nous avons reçu plus de 500 nouvelles". Gnagnagna. Si je veux être éditée un jour, mon texte ne devra pas surpasser 500 autres mais plusieurs milliers. J'ai plutôt intérêt à trouver le je-ne-sais quoi qui me turlupine d'ici là.

Pour info, le thème du concours était "Si j'étais magicien". A nouveau, désolée pour la mise en page qui n'est pas top, si quelqu'un connaît un truc pour améliorer ça, je suis preneuse.
  


AZRÌEL L’ENVOÛTEUR

Juché sur son cheval de jais, Azrìel tira sur les rênes, forçant l’animal à s’immobiliser. Il se retourna et embrassa le paysage du regard. Son cœur se serra tandis qu’il contemplait Reìs, la petite ville qui l’avait vu grandir, baignée dans le soleil de midi. Il s’était déjà trop éloigné pour en distinguer chaque détail mais il reconnut la forge de Roderìk et le Castel dont les pierres noires tranchaient avec l’ocre dans lequel étaient bâtis les villages du Sud.

En soupirant, l’envoûteur s’arracha à sa contemplation et reporta son attention sur le chemin rocailleux qui s’ouvrait face à lui. Encore quelques pas et il franchirait une frontière invisible qui mettrait un terme définitif à son enfance. Derrière son dos reposaient sa jeunesse, son insouciance et les souvenirs de son apprentissage ; sous ses yeux, par-delà le coude du chemin, l’attendait un futur qu’il espérait glorieux.


Vaguement mélancolique, le jeune homme caressa l’encolure d’Émeraude, plus pour chasser sa propre nostalgie que pour encourager sa jument qui n’en avait aucun besoin. Soudain, son visage tanné par le soleil s’illumina d’un sourire. Saisi d’une brusque inspiration, il sauta à bas de sa monture et effectua quelques pas. Lorsqu’il franchit la frontière symbolique, il s’immobilisa au milieu du chemin et ferma les yeux.

-          Bõnjã-põrfã, murmura-t-il en ancienne langue.

Aussitôt les mots rituels prononcés, il sentit une légère brise l’envelopper. Rassuré par la réponse, il effectua un premier pas hésitant. La brise s’accentua, le mettant en confiance. Oubliant sa timidité, Azrìel se laissa emporter par son intuition et laissa son corps onduler doucement.

Au terme de son apprentissage, il avait opté pour la voie de Tãìmõscié, le Masculin du Tout. S’il n’avait nullement oublié celle de Tãìminaé, les voies de la déesse lui étaient moins familières et il se sentait un peu rouillé. Plus subtile, plus sensuelle, elle s’était imposée à lui lorsqu’il avait envisagé d’adresser ses remerciements à l’environnement qu’il s’apprêtait à quitter. Douceur et séduction plutôt que force et puissance. Il ferma les yeux tandis que son corps ondoyait doucement sur un rythme qu’il était le seul à percevoir.

La danse pour charmer, la danse pour séduire.

Azrìel accentua ses mouvements, bientôt son corps entier ondoyait à la manière de la flamme d’une bougie agitée par le vent.

La danse pour troubler, la danse pour captiver.

Lorsqu’il fut certain que l’envoûtement avait touché tous les éléments auxquels il l’adressait, il leur adressa la gratitude qui brûlait tout au fond de son cœur. Alors, l’envoûtement achevé, il s’effondra brusquement.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, Azrìel constata avec joie que la mélancolie avait quitté son cœur, remplacée par la sérénité. Lors de son apprentissage, on lui avait appris le respect de l’équilibre du monde. Masculin et Féminin ; Tãìmõscié et Tãìminaé ; donner et recevoir ; demander et remercier. Les montagnes d’Orizion, la jungle Rêveuse et la Mer des Brumes avaient reçu ses remerciements sincères.

À présent, il pouvait tourner le dos à la région de son enfance sans plus éprouver nostalgie ni regrets. À présent, il pouvait embrasser pleinement le futur auquel il aspirait.


***

Azrìel quitta le chemin et guida sa monture jusqu’au sommet d’une petite colline boisée qui surplombait les environs. La région n’était pas réputée pour être dangereuse mais il préférait être prudent et s’éloigner de la route pour la nuit. En tant que voyageur solitaire, il avait toutes les apparences d’une proie facile et des brigands risquaient d’être tentés de lui arracher sa jument. À cette pensée, il frissonna et caressa pensivement l’encolure de jais d’Émeraude avant de sauter à terre et de préparer son campement pour la nuit.

Quelques minutes plus tard, Azrìel observait pensivement les flammes lécher le lapin qu’il avait tiré le matin-même. Sous son regard émerveillé, le soleil couchant disparaissait à l’horizon, répandant une lueur rosée dans le ciel, enveloppant la nature verdoyante d’une lumière orangée.

Le jeune homme soupira, étonné par les sentiments qu’il ressentait, totalement opposés à l’enthousiasme que le paysage lui inspirait. Trois jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait quitté Reìs et à sa grande surprise, la joie et l’excitation du départ avaient laissé place à une profonde mélancolie.

Il se leva et effectua quelques pas, tentant vainement de chasser le cafard qui lui étreignait le cœur. Il rejoignit Émeraude qui broutait paisiblement, apparemment indifférente à la solitude.

-          Heureusement que tu es là, lui murmura-t-il doucement à l’oreille.

Il se rassit près du feu. Ses yeux noirs plongés dans le spectacle mouvant des flammes, il songea à l’enchainement de décisions qui l’avaient jeté sur les routes, en quête d’aventures et de notoriété.

L’histoire qui avait bouleversé son destin résonnait encore dans sa mémoire comme s’il l’avait entendue la veille. Si le nom d’Ãlìéné avait toujours été familier, il se souvenait parfaitement du jour où leur maître leur en avait conté la légende. Ãlìéné, l’envoûteur fou qui, lors d’une terrible colère, avait brisé Sãnaélìa en deux ; les deux mers qui s’étaient engouffrées dans les brèches pour se rejoindre au centre dans le Lac d’Ãlìéné, créant au passage le fleuve Sãlamãndre. Ãlìéné le dément, dont le nom était connu du Nord au Sud, célèbre pour avoir repoussé les gìvres par-delà les Monts Glacés.

Azrìel, du haut de ses six ans, avait vu là un destin tout tracé. Il n’avait aucun parent pour croire en son courage et son talent. Sa reconnaissance, il lui faudrait la gagner autrement. Suivre les traces d’Ãlìéné, vivre une existence d’aventures, de frissons et de sacrifices. Le petit garçon avait laissé place à un homme décidé, au visage carré couvert d’une barbe naissante, aux yeux aussi noirs que sa chevelure en bataille. Pourtant, cette idée n’avait jamais cessé de l’obséder.

À la fin de son apprentissage, il avait pris la décision de rester à Reìs et d’exercer comme envoûtailleur durant deux ans. Sa profonde sensibilité lui avait permis de dégager de magnifiques dentelles dans l’ocre des murs qu’on lui avait confiés. Son travail était devenu rapidement recherché. Pourtant, dès qu’il avait rassemblé suffisamment d’argent pour s’acheter un cheval, il avait tout abandonné pour assouvir ses rêves de liberté. Rien ne le retenait plus dans le petit village qui l’avait vu grandir. Ses amis s’étaient éparpillés aux quatre coins de Sãnaélìa dès leur apprentissage achevé et il comptait bien profiter de sa nouvelle liberté pour leur rendre visite.

Mais d’abord, il souhaitait rejoindre le Lac d’Ãlìéné. Il voyait cette première étape comme l’occasion de se rapprocher de celui qui avait donné un sens à son existence. Il en profiterait pour visiter Sãnaé, la capitale, dans laquelle il n’avait jamais mis les pieds. À cette idée, un petit sourire naquit sur son visage, chassant son air dépité. La solitude n’était pas facile à vivre mais le frisson d’un lendemain sans certitude se révélait captivant.
 
***

-          Tout le monde est prêt ? Azrìel ?

Le jeune homme acquiesça tout en achevant d’attacher ses fontes sur la croupe de sa jument. Il sauta hâtivement en selle, conscient qu’Hamìl n’attendait que lui pour donner le signal de départ. Lorsqu’il remarqua le regard déférent que le chef caravanier posait sur lui, l’envoûteur ne put s’empêcher de rougir légèrement. Il ne s’habituerait jamais au respect qu’inspirait sa qualité d’envoûteur. Il serra les dents tout en se promettant de prouver qu’il méritait ce respect.

Hamìl donna le signal de départ. Les trois chariots s’ébranlèrent sous le regard attentif des quatre mercenaires chargés de le protéger. Les caravanes n’étaient pas rares en Sãnaélìa, composées de marchands qui parcouraient le monde, achetant dans un village des denrées qui manquaient dans d’autres, s’entourant de mercenaires pour protéger les chariots recelant leurs vies et leurs biens.

Les yeux noirs d’Azrìel se posèrent tour à tour sur Hamìl, le chef caravanier qui ouvrait le chemin, entouré d’Atsuì et de Jumel, deux mercenaires qu’il avait engagés quelques mois auparavant. La caravane était composées de trois familles dont les enfants criaient et riaient, provoquant un joyeux tintamarre, tandis que les mercenaires encadraient le tout, feignant d’ignorer les regards admiratifs que les garçons les plus âgés posaient sur eux.

Azrìel bénit son intuition qui lui avait conseillé de quitter l’abri des sous-bois. Après tout, la majorité des voyageurs ne possédaient pas ses pouvoirs, étaient bien plus démunis que lui face aux dangers de la route, mais ne se cachaient pas pour autant.

Lorsqu’il avait aperçu loin devant lui la poussière soulevée par la caravane, le jeune homme avait chassé l’appréhension qui lui étreignait le cœur et poussé Émeraude au trot. Lorsqu’il avait les avait rattrapés, les caravaniers s’étaient montrés très amicaux et avaient partagé leur repas du soir. Hamìl lui avait même proposé de se joindre à leur groupe. Si les caravaniers s’entouraient toujours de mercenaires en quête d’or, la protection d’un envoûteur était un luxe suffisamment rare pour être apprécié.

Depuis qu’Azrìel voyageait en leur compagnie, toute trace de mélancolie s’était envolée de son cœur. Ses yeux noirs s’étaient remis à briller d’un éclat malicieux, ses doutes s’étaient envolés, le laissant serein et apaisé.

Lorsque le soleil atteignit son zénith, les voyageurs s’immobilisèrent à l’ombre d’un bouquet d’arbres, s’arrachant à la chaleur moite du chemin pour se restaurer. Tãssìya, la fille ainée de Hamìl, s’assit à ses côtés. Azrìel fut immédiatement happé dans les profondeurs de ses yeux verts. Il avait été frappé par sa beauté dès qu’il avait posé les yeux sur elle, pourtant il avait évité sa compagnie, devinant que le chef caravanier n’apprécierait guère qu’il regarde sa fille de trop près.

-         Tu as choisi la voie de Tãìmõscié? lui demanda soudain Tãssìya en désignant du menton l’insigne qui ornait sa cape.

Azrìel hocha la tête et porta le morceau de pain à sa bouche, troublé par le regard interrogateur qu’elle posait sur lui.

-          Oui. Même s’il est plus juste d’affirmer que c’est Tãìmõscié qui m’a choisi et non l’inverse.

Tãssyìa hocha gravement la tête. Son geste recouvrit son visage d’une pluie de cheveux noirs. Comme tous, elle respectait profondément le dieu et la déesse et était consciente que leurs deux voies s’entremêlaient en chacun de manière harmonieuse et inextricable. Le dieu et la déesse, le Masculin et le Féminin du Tout, Tãìmõscié et Tãìminaé, se reflétaient dans chaque être de manière indivisible et unique.

-          Tu es vraiment envoûteur ? Je ne t’ai pas encore vu faire le moindre tour.

-          Il serait dommage d’utiliser les ressources que m’offrent l’Art si je n’en ai pas l’usage. L’Art n’est pas un jouet, c’est un don que tout envoûteur se doit de respecter en l’utilisant de manière parcimonieuse.

À ces mots, la jeune fille adopta une moue boudeuse, visiblement déçue.

-          Tu ne veux vraiment rien me montrer ? Tu pourrais m’envoûter, je ne suis pas contre…

-          Prends garde à ce que tu souhaites, jeune fille, intervint soudain Hamìl, qui n’avait pas perdu une miette de la conversation.

-          J’ai connu des envoûteurs plus amusants, rétorqua Tãssyìa en se renfrognant, visiblement ennuyée par l’intervention de son père.

-          Tu les trouvais amusants, je les trouvais exécrables et profondément imbus de leur personne, rétorqua Hamìl d’un air irrité, comme si elle lui rappelait un souvenir particulièrement désagréable. Je pensais pourtant t’avoir appris à voir au-delà des apparences. De toute manière, tu auras certainement l’occasion d’observer Azrìel à l’œuvre. Jumel a repéré des traces suspectes quelques kilomètres en amont. Il semblerait que nous soyons la cible d’une bande de brigands.

Il avait à peine achevé sa phrase qu’un hurlement sauvage retentissait, tandis qu’une volée de flèches s’abattait sur les caravaniers. Aussitôt, visiblement rompus à ce genre de danger, hommes et femmes bondirent sur leurs pieds tout en brandissant les armes qui ceignaient leurs ceintures, tandis que d’autres rassemblaient leurs enfants à l’abri des flèches sous les trois charrettes. Si les routes étaient relativement sûres, personne n’était jamais à l’abri des bandits, certainement pas les caravaniers dont les chargements attiraient les convoitises.

Azrìel fut lent à réagir. Il fixait d’un air médusé la flèche noire qui avait frôlé son visage avant de se planter dans un arbre tout proche. Assise à ses côtés, Tãssyìa hoquetait de douleur, une flèche plantée dans l’épaule droite.

La vue du sang tira l’envoûteur de son hébétude. Son effroi laissa place à une peur intense qui balaya tous ses rêves d’aventure et de gloire, le laissant tremblant et immobile, incapable de réagir. À ses côtés, Tãssyìa cessa de gémir et s’empara à l’aide de son bras valide du poignard effilé qu’elle portait à la ceinture. Ignorant la douleur, elle se dirigea d’un pas assuré vers les assaillants que mercenaires et caravaniers tentaient de repousser à coup d’épées, de flèches et même de rouleaux à pâtisserie.

La vue du combat qui l’entourait tira Azrìel de son hébétude. Se souvenant soudainement qu’il s’était juré de gagner le respect de ses compagnons, il se leva, légèrement chancelant.

-          Bõnjã-põrfã, murmura-t-il en ancienne langue.

Lorsqu’une brise légère l’enveloppa, annonçant la réponse des éléments, il sentit sa peur refluer et laisser la place à une étrange sérénité. Il leva un pied, puis l’autre, oubliant qu’il allait mener le premier vrai combat de son existence. Son corps s’agita de plus en plus rapidement, de manière saccadée et vaguement autoritaire.

La danse pour convaincre, la danse pour imposer.

Ses mouvements s’accentuèrent, son corps était emporté par une mélodie qu’il était le seul à percevoir.

La danse pour détruire, la danse pour gagner.

Tandis qu’Azrìel dansait, imposant sa volonté aux éléments, ses dernières craintes s’envolèrent, chassées par l’Art qui pulsait en lui. Il dirigea ses mains tendues vers les agresseurs et ferma les yeux, s’abandonnant pleinement au pouvoir, embrassant le choix d’une vie dévolue à l’aventure et au danger.


***

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