vendredi 25 mai 2012

Zermati, Linecoaching, régimes et hyperphagie (1/6)


Envie de raconter. Besoin de raconter. Mon histoire. Ma souffrance, mes difficultés et mes rires. J’ai longtemps hésité à poster cette série de billets. D’abord parce que c’est extrêmement intime, je me livre comme je ne l’ai jamais fait. Ensuite, parce que certains proches lisent ces propos et seront sans doute surpris par ces lignes. Bref, voici mon vécu. Que je vous livre comme je l’ai ressenti, comme je le ressens. Au gré des souvenirs.


Dix ans. École primaire. Cour de gymnastique. Toute la classe, en short et en t-shirt blanc, est assise sur les bancs de bois de la salle de sport. Je devrais écouter la prof, je n’en fais rien. Horrifiée, j’observe mes cuisses, ces cuisses qui s’étalent lorsque je les pose sur le banc. Je les soulève, elles sont minces, je les pose, elles sont grosses. Au secours, je suis affreuse, je deviens grosse !

Onze ans. Maman revient d’une visite chez sa grand-mère. Elle lui a montré les photos des vacances et me répète la remarque qu’a provoqué la vue d’une photo de moi en short : « Elle commence à grossir, non ? ». Une bouffée de honte, de culpabilité et de colère m’envahit. Je me penche à mon tour sur la photo. Il me semble pourtant que mes jambes ressemblent à des bâtons tellement elles sont maigres. La photo doit me maigrir parce que lorsque je les observe dans le miroir, ces jambes, je les trouve énormes. Pourtant, j’ai conscience d’être mince. J’ai de la chance, contrairement à certaines copines. Elles se plaignent d’être grosses, je leur affirme le contraire mais en fait je suis d’accord avec elle. Les pauvres, je n’aimerais pas être à leur place.

Quinze ans. Je me trouve grosse, j’aimerais maigrir. Lorsque je m’observe dans le miroir, je me trouve complètement disproportionnée. Ce torse maigre et ces cuisses énormes. Quelle horreur ! Je hausse les épaules. Tant pis, qu’est-ce que je pourrais y faire ? Je suis comme ça. Je vais quand même essayer de limiter les sucreries, il paraît que c’est mauvais, on me le répète assez souvent. Si je pouvais être née en détestant le sucre, quelle joie ça aurait été ! À la place, la fée qui s’est penchée sur mon berceau a décidé de me le faire adorer. Quand j’entame un paquet de bonbons, je suis incapable de m’arrêter avant de l’avoir dévoré tout entier. Quelle pitié ! Si je trouvais une lampe d’Aladin, mon premier vœu serait de pouvoir manger tout ce que je veux sans jamais grossir. Après la paix dans le monde, bien sûr, je ne suis pas égoïste à ce point. Quoique ? D’abord rester mince. Non, d’abord la paix dans le monde. Non, d’abord…

Dix-huit ans. J’entame ma seconde année d’université. Je n’ai jamais fait le moindre régime. Je me trouve toujours aussi grosse (ces fesses, ces cuisses, si elles pouvaient fondre !) mais voilà, c’est la vie. Sauf que… J’ai rencontré Muche il y a deux mois et depuis lors, j’ai grossis. Deux petits kilos. Je m’en plains et il me parle du régime qu’il a fait vers ses vingt ans. Je devrais faire pareil. Je vais m’y mettre, un jour… Je vais faire plus de sport, aussi. Je suis grosse, il est plus que temps que je me prenne en main.

Dix-huit ans et demi. J’ai décidé de commencer à compter les calories. Je veux maigrir, il suffit de faire un peu attention. J’ai fait le compte : selon mon poids, ma taille et mon âge, j’ai droit à 1300 kcal par jour. Si je fais du sport, ce quota augmentera. Allez, au boulot !

Je suis euphorique. J’ai maigri. Ça me va bien. Tout le monde me le dit. Pourtant, je n’ai perdu que quatre kilos. Il faut dire, j’étais mince à la base. Enfin, mince… Tout est relatif. J’étais mince pour ce tas d’amorphes sans volonté qui constitue le monde occidental. En réalité, j’étais grosse. Plus qu’un ou deux kilos et je serai parfaite.

J’ai faim. Mon Dieu, que j’ai faim ! Mais ça marche, je maigris. Je suis tellement fière de moi. Je méprise les gros. C’est quand même pas compliqué, d’être mince ! Il suffit de se contrôler. J’y arrive bien, moi. Je me trouve belle. Je suis quelqu’un de bien. Encore un peu trop grosse, quand même. J’ai quand même une morphologie de merde. Mes cuisses et mes fesses sont grosses, trop grosses. Enfin, j’ai maigri, c’est déjà pas mal. Plus que quelques kilos et je serai heureuse.

Papa m’a demandé en rigolant si je devenais anorexique. Ça veut dire qu’il me trouve mince ! Il ne m’a jamais rien dit qui m’ait autant fait plaisir. Je me trouve belle, Muche me trouve belle, mes copines envient ma ligne. Je suis heureuse, heureuse. Bon, je me pèse huit fois par jour et j’ai faim toute la journée. Peu importe, je ne me suis jamais sentie aussi bien.

Je suis nulle. Je ne sais pas ce qui m’arrive mais depuis que j’ai atteint le poids parfait, celui dont je rêvais, je n’arrête pas de manger. À croire que je suis devenue boulimique. Je suis incontrôlable. Et je grossis ! C’est horrible, tous mes efforts s’envolent en fumée. Si je pouvais devenir anorexique, ne fut-ce qu’un mois ! Mais je suis bien trop nulle pour ça. Je ne vaux rien, je n’ai aucune volonté. Je ne fais plus de sport, je n’en peux plus du sport. Allez, un petit peu de volonté, secoue-toi ! Ce n’est quand même pas compliqué d’arrêter le chocolat !

Ça fait trois ans. Trois ans que je me bats contre moi-même. Trois ans que j’enchaîne les régimes. Trois ans que je me dis que je vais faire régime. Que j’y arrive, parfois. De moins en moins. Je mange beaucoup. Tout le temps. Du chocolat. Sans arrêt. Je suis incapable de m’arrêter. Je ne vaux rien, rien du tout. Je suis une merde, une sous-merde. Je n’ai aucune volonté. Je n’ai plus envie de vivre, j’ai mal, j’ai trop mal. Je ne sais plus me voir dans un miroir. Mon corps me dégoûte, je me dégoûte, je ne suis qu’une moins que rien, un tas de cellulite. Je suis une boule de graisse sans volonté. Comment pourrait-on m’aimer ? Même pas capable de faire un petit régime.

Je n’en parle pas. À personne. J’ai trop honte de moi-même. Et puis, qui comprendrait ? J’ai pris du poids, beaucoup de poids. Mais je reste mince, j’ai été gâtée par la nature, je suis issue d’une famille de minces et mes gênes me préservent un peu. J’imagine les réactions si je disais à voix haute que je ne désire qu’une chose : maigrir. On m’affirmerait que je suis parfaite. Mais je sais que ce n’est pas vrai. Je suis l’exact opposé de parfaite. Incapable d’arrêter le chocolat. Une droguée, au fond du trou. Heureusement que je ne fume pas, heureusement que je ne suis pas alcoolique. Vu la manière dont je gère le chocolat. C’est tellement irrationnel, je ne comprends pas. Si mes placards sont vides, je me lève comme un automate et je vais acheter bonbons, gâteaux et chocolat. Et puis je mange, je mange jusqu’à être malade, je mange des kilos de sucre sans être capable de m’arrêter. C’est incompréhensible, irrationnel. Il suffirait de ne rien acheter ! Mais j’en suis incapable. L’appel du sucre est trop fort, ma poitrine se déchire tellement j’en veux, j’ai mal, je ne parviens pas à résister. Et si par miracle je résiste, je fais des rêves, des rêves terribles où je me goinfre. Le lendemain matin, lorsque je me réveille, en sueur et terrorisée, la première chose que je fais après m’être levée, c’est aller acheter du chocolat. Ça me calme, pour quelques temps. Et puis je culpabilise, je grossis, je me sens terriblement mal. Les périodes d’accalmie surgissent parfois. De plus en plus courtes, de plus en plus espacées. Lorsqu’elles surviennent, au lieu de faire régime, je mange juste bien. La faim me terrifie, je suis incapable de faire encore régime. Je ne veux plus avoir faim. J’ai peur, j’ai peur, j’ai honte.

Je mens. Je mens à Muche. J’ai trop honte, je suis incapable de lui avouer mes crises. Il est démuni, il ne comprend pas. Comment le lui reprocher ? Mon comportement est totalement irrationnel, qui pourrait le comprendre ? Je suis nulle, je me hais. Je refuse qu’il sache qui je suis vraiment, cette larve sans volonté, cette fille qui ne vaut plus rien, qui ne ressemble plus à rien. Alors je lui mens, persuadée au fond de moi-même que le mensonge n’aura aucune conséquence, que demain je ferai régime, que ça ira mieux, qu’avec un peu de volonté je repartirai du bon pied. Mais je ne suis qu’une moule. Qu’une moule. Une moins que rien. Je suis en train de détruire mon couple à coups de mensonges et de chocolat. Parce que je me trompe. Tous ces mensonges ne sont pas sans conséquence.

(Vu que c'est trèèès long et que j'ai encore beaucoup à dire, à suivre...)

Suivant : Zermati, Linecoaching, régimes et hyperphagie (2/6)

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